Nullité du licenciement : comment exploiter la chronologie des faits à travers les pièces d’un dossier

Faits et procédure

M. K. a été embauché par la société X. en tant que responsable adjoint télécoms et réseaux en 2016. En 2018, la société a notifié au salarié son licenciement pour insuffisance professionnelle. M. K., représenté par le cabinet Reyboz, a saisi le conseil de prud’hommes en nullité du licenciement.

Les juges du fond (conseil de prud’hommes de Longjumeau) ont condamné la société X. au paiement de primes contractuelles mais débouté le salarié de sa demande de prononcer la nullité du licenciement. M. K. a alors interjeté appel de ce jugement et a obtenu gain de cause. La cour d’appel a prononcé la nullité du licenciement dans un arrêt du 10 novembre 2022.

L’insuffisance professionnelle ne fait pas obstacle à l’annulation du licenciement

En application de l’article L. 1152-3 du code du travail, toute rupture du contrat de travail intervenue en violation des articles L. 1152-1 et L. 1152-2 est nulle. Notamment, et comme c’est le cas en l’espèce, le licenciement ayant pour origine le harcèlement moral dont le salarié a été victime est nul et ouvre droit à réparation de l’intégralité du préjudice subi, le montant s’élevant au minimum à six mois de salaire.

En l’occurrence, l’employeur de M. K. lui reproche une insuffisance professionnelle relative à l’identification et au respect de ses priorités de travail. Cela aurait engendré du retard dans les projets cruciaux dont il avait la responsabilité ayant entrainé des surcoûts pour l’entreprise.

Néanmoins, M. K. a été victime d’un harcèlement moral contre lequel l’employeur alerté n’a pas pris les mesures adéquates alors même que le salarié avait dénoncé ces faits par écrit à plusieurs reprises auprès des personnes compétentes, avant de recevoir tout reproche.

Il en résulte que l’insuffisance professionnelle qui est reprochée à M. K. s’inscrit précisément comme un des faits constitutifs du harcèlement moral dénoncé, et que le licenciement n’en est pas moins entaché de nullité.

Bien exploiter la chronologie des faits

Au sens de l’article L. 1152-1 du code du travail visé par la décision d’appel, le harcèlement moral désigne des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail du salarié, susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

S’agissant de la démonstration d’une situation de harcèlement moral, il ressort de l’article 1353 alinéa 1er du code civil qu’il incombe au salarié victime de rapporter la preuve de sa réalité. Il est donc crucial pour le salarié demandeur de pouvoir fournir des éléments factuels, à tout le moins un faisceau d’indices permettant de constater l’existence de la situation de harcèlement. C’est indispensable pour obtenir gain de cause.

En 2017, M. K. a pris soin de notifier et décrire à son supérieur hiérarchique la situation de harcèlement moral que lui faisait subir son responsable. D’une part, le salarié décrit les comportements de violence de son responsable et en précise les occurrences ; d’autre part, il avertit des conséquences de ces comportements sur sa propre conditions physique et psychologique. Plusieurs courriels ont été envoyés par M. K. à sa hiérarchie jusqu’en 2018.

La médecine du travail a également été alertée de la situation à cette même période et a pu constater la situation harcèlement moral, mais aussi l’absence d’interlocuteur de M. K. malgré ces courriels de signalement. Le médecin du travail a prescrit plusieurs arrêts maladie successifs à M. K au cours de l’année 2018, et un psychologue externe lui a diagnostiqué de l’anxiété persistante en lien avec le harcèlement moral subi. Au cours de cette même année, M. K. a encore fait une demande d’aménagement de poste auprès de la médecine du travail, et a fait l’objet d’une enquête menée par le CHSCT, celui-ci ayant conclu à une charge de travail inadaptée au poste du salarié ou encore des directives contradictoires données par le responsable du salarié victime.

Les premières démarches de Monsieur K. ont été effectuées avant de recevoir tout reproche : c’est une chronologie importante, car se plaindre de son supérieur après avoir reçu un avertissement ou une lettre de recadrage est aisément perçu comme une stratégie de défense et non comme une alerte sincère.

De plus, l’inspection du travail a informé l’employeur par écrit, postérieurement au licenciement, de la possible illicéité de cette rupture. En effet, le déroulement chronologique des événements a été déterminant étant donné que les nombreuses notifications du salarié dénonçant le harcèlement qu’il subissait, ainsi que les diagnostics corroborant de la médecine du travail sont intervenus antérieurement à la constatation de l’insuffisance professionnelle par l’employeur.

L’importance de la preuve

La cour d’appel a suffisamment déduit de la production de tous ces écrits par le salarié que la situation de harcèlement moral, ainsi que ses effets, étaient caractérisés.

Les juges en ont alors conclu que le licenciement pour insuffisance professionnelle ne pouvait être prononcé sans être illicite alors même que l’insuffisance était le produit d’un harcèlement moral dont l’employeur avait été maintes fois alerté.

Conclusion

Les faits n’existent que par les écrits, et ceux-ci doivent encore être produits à temps.

Cour d’appel de Paris, chambre sociale, 10 novembre 2022

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