Quelles sommes (exactement) espérer d’une action aux prud’hommes ?

C’est souvent la première question posée à l’avocat : « combien puis-je gagner ? », « Combien vaut mon dossier ? »

Et l’avocat de répondre : « ça dépend ! », ou : « environ x mois », sans avoir le temps de préciser ce qui peut diminuer/modifier la somme envisagée.

Charges sociales, remboursement à Pôle Emploi… voici un récapitulatif des sommes qui peuvent être réclamées devant le CPH, à quelles conditions, et comment estimer ces sommes en net :

Différentes sommes à réclamer :

Licencié requalifié en licenciement sans cause réelle et sérieuse (injustifié) :

Depuis l’ordonnance de 2017 (dit Barème Macron), le salarié a droit à une indemnité prud’homale (dommages et intérêts) comprise dans un plancher et un plafond, en fonction de son ancienneté et de l’effectif de l’entreprise (≥ 11 salariés / < 11 salariés).

Barème pour les entreprises de 11 salariés ou plus :

Ancienneté en années complètes Minimum en mois Maximum en mois
01
112
233
334
435
536
637
738
838
939
10310
11310,5
12311
13311,5
14312
15313
16313,5
17314
18314,5
19315
20315,5
21316
22316,5
23317
24317,5
25318
26318,5
27319
28319,5
29320
30 et plus320

Le maximum absolu est 20 mois de salaire brut.

Barème pour les entreprises de moins de 11 salariés : 0,5 à 2,5 mois selon l’ancienneté, mais les plafonds sont identiques aux entreprises de plus de 11 salariés.

Oui mais… « 3 mois de salaire », c’est-à-dire ? de quel mois parle-t-on ?

Le « mois » est en réalité le salaire moyen mensuel brut calculé sur les 12 ou 3 derniers mois d’activité, au plus avantageux. C’est un montant très souvent bien supérieur au salaire contractuel de base, puisqu’on intègre dans cette moyenne les bonus, primes, heures supp, 13 ème mois et autres composantes de salaire.

Oui mais… comment avoir le maximum du barème ?

On ne peut pas le promettre, seulement le réclamer.

Il faut en effet distinguer deux choses : avoir gain de cause (le licenciement est effectivement requalifié en licenciement sans cause) et obtenir les montants demandés.
La requête déposée auprès du CPH formule les demandes maximales, ou du moins « fourchette haute ». Les condamnations correspondent rarement à ces chiffres, on obtient en général entre 50 et 75 % des demandes chiffrées.

Les conseillers prud’homaux gardent une marge d’appréciation :
Ils tiennent compte de l’âge du salarié, du montant de l’indemnité de licenciement perçue (hors cas de faute grave), de la situation professionnelle du demandeur (a-t-il retrouvé du travail ou non, sachant que la durée d’une procédure prud’homale à Paris et région parisienne fait qu’on plaide parfois un an après le licenciement, ce qui permet d’apprécier la réalité du préjudice et la durée de chômage).

Il doivent aussi tenir compte de la qualité des preuves apportées au soutien des demandes, et de l’absence ou non de passif disciplinaire dans un licenciement pour faute.

Licenciement jugé nul :

Un licenciement est nul (à distinguer de « sans cause réelle ni sérieuse »), lorsqu’il a été prononcé pour un motif expressément interdit par le code du travail et emportant nullité de la rupture :

  • discrimination en raison de l’origine, le sexe, l’appartenance syndicale, l’âge, la santé, la maternité, l’état de grossesse etc (toute discrimination doit avoir un motif précis parmi ceux listés par le code du travail, selon l’adage « pas de nullité sans texte »),
  • harcèlement moral ou sexuel ou dénonciation de ce harcèlement,
  • exercice d’un droit (droit d’alerte, de grève, d’expression…),
  • violation de la protection d’un salarié protégé (c’est-à-dire détenant un mandat électif ou désignatif de représentation du personnel),
  • atteinte à une liberté fondamentale,
  • licenciement contraire à la protection prévue en cas de maternité, accident du travail, etc.

En cas de nullité, les dommages et intérêts ne sont pas limités par le barème de 2017, et l’indemnité minimale est de 6 mois de salaire, sans plafond maximal.

Les sommes accordées peuvent atteindre 24 ou 30 mois en fonction – comme pour les licenciements sans cause – de l’ancienneté, du préjudice réel, d’un chômage prolongé…

La réintégration n’est pas forcément demandée, et si elle est demandée elle n’est pas forcément accordée (il faut que le poste existe toujours, que le salarié n’ait pas retrouvé ailleurs, que les juges trouvent cette solution adaptée…). Si elle est demandée et accordée, le salarié licencié et réintégré dans un emploi équivalent au sien et perçoit les salaires qu’il aurait du percevoir depuis son licenciement, avec la moyenne des augmentations.

Autres sommes distinctes des dommages et intérêts pour licenciement sans cause :

Si le licenciement avait été prononcé pour faute grave :

  • indemnité de préavis et congés payés à hauteur de 10% du préavis,
  • indemnité de licenciement,
  • salaire de la mise à pied conservatoire et congés payés à hauteur de 10 % (s’il y a eu mise à pied).

S’il a été prononcé pour faute grave, simple ou tout autre motif :

  • rappel de salaire, de primes, de bonus, de commissions sur résultat selon les cas de figure, notamment en cas de licenciement pour insuffisance professionnelle contesté,
  • rappel de 13ème mois ou éventuel prorata,
    dommages et intérêts pour inégalité de traitement (non-respect du principe : à travail égal, salaire égal), associé au rappel de salaire pour compenser l’inégalité dénoncée,
  • dommages et intérêts pour non-respect de l’obligation de sécurité et de prévention (conditions de travail, matériel et équipements de sécurité, formation à la sécurité, horaires de travail, conditions du travail de nuit, postes isolés…),
  • rappel de salaire pour heures supplémentaires, et le cas échéant dommages et intérêts pour non -respect des maxima durée du travail, ou remise en question du forfait jours,
  • dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail : il faut avoir démontré des agissements déloyaux durant le contrat de travail, et qui justifient un dédommagement distinct de celui accordé au titre de la rupture,
  • dommages et intérêts pour absence de formation (par exemple à un nouveau poste sur lequel on reprochera ensuite une incompétence, ou de maintien de l’employabilité du salarié (nouvelles technologies etc.),
  • remboursement de frais impayés,
  • contestation de sanctions disciplinaires autres que le licenciement et dommages et intérêts afférents,
  • dommages et intérêt pour travail dissimulé : demande associée à celle d’heures supplémentaires non payées, ou de jours fériés travaillés non payés, ou tout autre dépassement horaire non payé et officieux. Si le travail dissimulé est reconnu, la condamnation est automatiquement de 6 mois de salaire,
  • indemnité de non-concurrence si le contrat en prévoyait une, qu’elle était licite (conforme à la jurisprudence, limitée dans le temps et l’espace etc.), qu’elle n’a pas été levée et que l’ex-salarié en respecte les obligations,
  • dommages et intérêts pour délivrance tardive des éléments du solde de tout compte (attestation France Travail surtout), si le retard a créé un dommage financier pouvant être établi,
    Etc.

Vérifier que les demandes envisagées ne sont pas prescrites :

Toute infraction à la loi ou à un contrat est assortie d’un délai de prescription : passé ce délai, il n’est plus possible de saisir la justice pour faire reconnaître et indemniser cette infraction.

Les délais sont appréciés très strictement par les tribunaux, au jour près.

Le point de départ de la prescription est (à apprécier au moment du premier courrier RAR de mise en demeure avec mentions légales, ou de la saisine du CPH) :

  • soit le jour où la somme était exigible (salaire, prime, 13ème mois selon la règle de versement etc.),
  • soit la date à laquelle le salarié à connu ou découvert les faits dont il veut demander dédommagement (par ex : information d’une nouvelle affectation, réception d’un avenant à contrat de travail, première réclamation écrite d’une prime ou première plainte écrite à propos d’un harcèlement…),
  • la prescription se calcule élément par élément (salaire, dommages intérêts…).

Prescription applicable selon les sommes :

  • Actions en paiement ou en répétition de salaire : 3 ans. Code du travail, art. L3245-1
    – heures supplémentaires
    – primes, bonus, commissions…
    – 13ᵉ mois
    – rappels de salaire divers
    – congés payés
    – indemnité de non concurrence
  • Litiges relatifs à l’exécution ou à la rupture du contrat de travail : 2 ans. Code du travail, art. L1471-1
    – contestation d’un licenciement en sans cause ou nul ou irrégulier
    – requalification d’un CDD en CDI
    – requalification d’un temps partiel en temps plein (sauf demande de salaire → 3 ans)
    demandes liées à une sanction disciplinaire
  • Actions pour discrimination ou harcèlement / Discrimination / harcèlement moral ou sexuel : 5 ans à compter de la révélation des faits. Code du travail, art. L1134-5

Les éventuels rappels de salaire dus en conséquence (par ex dans le cas d’une discrimination) relèvent toujours de la prescription de 3 ans

La prescription est suspendue en cas de :

  • médiation
  • impossibilité d’agir (force majeure)
  • procédure pénale portant sur les mêmes faits

La prescription est interrompue en cas de :

  • mise en demeure écrite (LRAR) adressée à l’employeur
  • saisine des prud’hommes
  • reconnaissance du droit par l’employeur (mail, paiement partiel…)

Dans ce cas un nouveau délai de 3 ans recommence à courir.

Une fois les condamnations prononcées par jugement, quelles charges sociales ou fiscales sont dues ?

Les sommes ayant caractère de salaire sont soumises aux charges sociales et à l’impôt sur le revenu : l’employeur, au moment d’exécuter les condamnations, émettra un bulletin de paye classique avec toutes les cotisations :

  • rappels de salaire
  • congés payés, RTT
  • bonus, primes, commissions etc
  • heures supplémentaires
  • préavis, période de mise à pied

Attention : le taux d’imposition qui sera retenu pour le prélèvement à la source (PAS) sera le taux par défaut qui dépend du montant du salaire sans tenir compte de la situation personnelle, puisque le salarié est à ce moment sorti des effectifs. Il est ensuite possible de demander à son centre d’impôt la restitution du trop-perçu.

Les sommes ayant caractère indemnitaire sont exemptées de charges sociales et Csg Crds dans la limite de 2 plafonds PASS (soit 96.120 € pour 2026) :

  • indemnité de licenciement (légale ou conventionnelle)
  • dommages et intérêts pour licenciement nul ou sans cause
  • indemnité pour travail dissimulé
  • dommages et intérêts pour harcèlement, discrimination, exécution fautive du contrat, etc.

Dans quel cas faut-il rembourser Pôle Emploi ?

Au moment de régler les condamnations, l’employeur émet un bulletin de paye et déclenche une attestation complémentaire France Travail, qui informe l’Etat des sommes perçues par le salarié. Dans la plupart des cas, il n’y a rien à rembourser à France Travail. Sauf :

  • dans le cas d’un licenciement jugé nul AVEC réintégration et versement des salaires rétroactivement pour la période comprise entre le licenciement et la réintégration : les sommes versées par l’employeur pour cette période étant des salaires, France Travail peut réclamer le remboursement des allocations perçues sur la même période, car on ne peut pas toucher à la fois un salaire et le chômage.
  • si le jugement condamne l’employeur à verser des congés payés et/ ou un préavis, l’obtention des sommes peut entraîner un différé d’indemnisation, i.e. u report du début de l’indemnisation, puisque ces sommes, si elles avaient été payées dès la rupture, auraient donné lieu à différé.

Si l’ex salarié est toujours pris en charge par France Travail au moment de percevoir ces condamnations, alors il peut en effet lui être demandé la restitution des allocations perçues entre la date initiale de sa prise en charge et la nouvelle date de début d’indemnisation que France Travail aura recalculée. Ces allocations ne sont néanmoins pas tout à fait perdues, elles reportent la fin du droit à indemnisation.

Les condamnations obtenues varient-elles vraiment d’un conseil de prud’hommes à l’autre ?

Pas réellement. La formation prud’homale est paritaire (2 conseillers salariés – 2 conseillers employeurs) et le jugement doit recueillir 3 « votes » sur 4 pour être signé, donc même si ce jour-là la formation est présidée par un employeur, ou au contraire un salarié, il faut un minimum de consensus entre eux 4.

Il existe ponctuellement des formations plus favorables aux salariés et d’autres aux employeurs, mais le détail de la formation (qui préside ce jour-là) est impossible à connaître à l’avance, il n’existe donc pas de stratégie utile à cet égard.

La loi est la même pour tous, et le président doit justifier sa décision : il doit « motiver » son jugement, c’est-à-dire expliquer a minimal à partir de quelles preuves et/ou appréciations juridiques il a pris sa décision, tant sur le principe que sur les montants. En réalité, la motivation d’un jugement prud’homal peut tenir en quelques lignes comme en quelques pages.

D’autre part, les conseillers prud’homaux savent qu’en cas de jugement trop fantaisiste, ils seraient corrigés par une décision d’appel, voire ensuite une décision de cassation. Les conseillers prud’homaux sont élus localement, il peut donc exister des spécificités sociologiques locales, qui peuvent jouer à la marge.

La véritable différence de traitement d’un CPH à l’autre réside dans les délais de procédure, très variables : de 6 mois environ pour une procédure complète dans certaines régions de province, à 12 – 15 mois en région parisienne, avec des exceptions notables : Nanterre en Encadrement (20 à 24 mois)…

Si le résultat n’est pas modifié, l’attente peut être longue et pénible.
On ne choisit pas le CPH qu’on saisit, il existe des règles de compétence en fonction du lieu, mais votre avocat étudiera avec vous les éventuelles possibilités juridiques d’échapper aux CPH les plus engorgés (lieu de signature du contrat au lieu du lieu de travail, lieu du siège de la maison mère…)

Au sujet de l’exécution du jugement, de l’incidence de l’appel et de l’exécution provisoire, voir l’article :