Télétravail (travail à domicile) : qui en décide ? Dans quelles limites et quelles formes ?

Le développement du numérique et des emplois sédentaires s’effectuant principalement sur ordinateur et/ou téléphone a permis d’envisager, dès les années 2005-20210, de travailler depuis son domicile.

Attention : le travail à distance est distinct du télétravail. C’est une variante selon laquelle le salarié ne travaille pas sur le site de son employeur mais pas non plus chez lui. Il se trouve par exemple sur une plateforme dédiée à un service, type plateforme téléphonique, où le management peut être effectué à distance. Le travail à distance n’est pas celui visé dans les articles de loi cités ici.

Grâce à la qualité des connexions Internet, et au développement des outils de réunion virtuelle type Zoom, le télétravail s’est constamment développé pour certains emplois : fonctions transverses (Comptabilité, Ressources Humaines), métiers du web, de l’informatique, gestion de stock, créatifs et rédacteurs, télévente, téléconseiller…

Le télétravail s’est d’abord pratiqué ponctuellement (par exemple en cas de grève des transport), puis s’est installé un à deux jours par semaine, souvent le vendredi pour faciliter la transition vers le week-end, et/ou le mercredi pour faciliter l’organisation familiale.

Les avantages du télétravail

S’agissant des salariés du secteur privé, le télétravail s’est considérablement développé, parfois soutenue par les employeurs, parfois par les salariés :

Pour les salariés, travailler de chez soi permet, en principe, de :

  • Réduire le temps de transport, souvent important en région parisienne où autour des grandes villes, et augmenter le temps dédié à la vie privée et familiale.
  • Economiser des gardes d’enfants, trajets en voiture et autres frais liées à l’absence quotidienne du domicile.
  • Gagner en autonomie et confort d’organisation de la journée de travail.

Pour les employeurs, le télétravail permet, en principe, de :

  • Economiser sur les locaux et espaces de travail/parking puisqu’une partie seulement des collaborateurs est présente par roulement sur un site,
  • Réduire l’absentéisme : un salarié malade sans gravité ou dont l’enfant est malade renoncera plus facilement à se faire arrêter s’il travaille de chez lui,
  • Réduire le risque « accidents de trajet »,
  • Augmenter la motivation des salariés heureux de cette configuration.

Le télétravail a été fortement suggéré et temporairement imposé lors de la crise sanitaire 2020 / 2021 liée au Covid.

Les pouvoirs publics y voient également, depuis peu, une opportunité pour alléger les problèmes de circulation automobile ou de saturation des transports publics.

Début 2022, 30 % des salariés du privé pratiquent le télétravail, occasionnellement ou régulièrement, certains à 100 %, d’autres un ou deux jours par semaine.

La plupart des salariés s’en trouvent satisfaits.

Les plus jeunes (18-24 ans) déclarent cependant éprouver des difficultés : sentiment d’isolement, manque de contacts directs, de conseils et d’échanges conviviaux, difficultés à appréhender leur environnement professionnel, premier poste pris dans un sentiment de « virtualité ».

Les avantages du télétravail dépendent du type d’emploi, du logement du salarié, de sa structure familiale et personnelle.

Les limites ont été atteintes avec la crise sanitaire et le « tout télétravail » favorisé pendant quelques mois :

  • les salariés, et surtout les plus jeunes et moins expérimentés ont déploré l’absence de lien, la difficulté à organiser sa journée, la sur-sollicitation des employeurs,
  • les employeurs ont constaté une perte de l’esprit d’équipe, ainsi qu’une difficulté à appréhender la productivité réelle des collaborateurs et à les manager.

Bien que dans des proportions rééquilibrées depuis la fin de la crise sanitaire, le télétravail s’est installé durablement dans les usages professionnels.

Que dit la loi du télétravail ?

Compte tenu du développement de la pratique, le législateur a précisé en 2012 la définition du télétravail et les conditions de recours à cette organisation du travail :

La loi du 22 mars 2012, codifiée sous l’article L1229-9 du code du travail, a défini ainsi le télétravail :

« Toute forme d’organisation du travail dans laquelle un travail qui aurait également pu être exécuté dans les locaux de l’employeur est effectué par un salarié hors de ces locaux de façon volontaire en utilisant les technologies de l’information et de la communication ».

On notera donc que le télétravail :

  • Est une organisation d’un travail donné, c’est-à-dire une façon de le pratiquer, sans que cela ne soit automatique, et sans que cela ne modifie le contenu du poste. C’est une simple modalité d’organisation qui ne change ni la classification, ni la durée du travail, ni les avantages contractuels.
  • Résulte d’un accord du salarié (« de façon volontaire »).

Le plus souvent, cet accord sera donné via la signature d’un contrat de travail contenant une clause relative au télétravail, ou d’un avenant en cours de collaboration.

L’ordonnance du 22 septembre 2017 (sur la prévisibilité et la sécurisation des relations du travail) a ensuite prévu la mise en place du télétravail par accord d’entreprise (signé avec les syndicats), ou par adoption d’une charte soumise à l’avis des représentants du personnel.

Dans ce cas, les modalités d’organisation (nombre de jours par semaine, moyens techniques de communication, fourniture d’équipement adapté, droit à la déconnexion etc.)

Cette ordonnance est actuellement codifiée sous l’article L1222-10 du code du travail.

L’article prévoit notamment l’obligation pour l’employeur de prévoir un entretien annuel sur les conditions du télétravail et sa charge de travail.

Attention, comme pour toute disposition contractuelle, l’accord collectif peut prévoir des dispositions générales sur le recours au télétravail, mais l’accord individuel reste requis lors de la mise en place effective.

L’Accord National Interprofessionnel de 2005 a été mis à jour en 2017 et 2020 pour intégrer aux règles applicables les obligations de :

  • Adapter les pratiques managériales au télétravail et former les managers à ce sujet,
  • Prévenir l’isolement des salariés en télétravail et organiser le lien social.

Ces dispositions ont été ensuite complétées par la loi du 24 décembre 2021.

En cas de force majeure (réglementation nationale liée par exemple à une crise sanitaire, ou épisode accru de pollution de l’air), l’employeur peut imposer le télétravail après avoir cependant informé les Instances Représentatives du Personnel si elles existent.

(Des coupures de courant liées à des difficultés énergétiques, ou une politique nationale d’économies d’énergie pourrait constituer un cas de force majeure pour imposer du télétravail temporairement).

Or cas de force majeure, l’accord exprès (formel) du salarié est indispensable.

Si la demande vient du salarié : il faut également l’accord de l’employeur.
Si la demande vient d’un salarié handicapé : l’employeur peut refuser le télétravail mais il doit alors motiver son refus.

A défaut d’accord collectif sur le télétravail, il est toujours possible de le prévoir par clause contractuelle individuelle, et même par « tout moyen » : échange de mails, voire de sms, dès lors que la preuve est écrite.

Le télétravail peut être occasionnel ou régulier, ou même ne concerner qu’une catégorie du personnel de l’entreprise.

Il peut être inhérent au poste et se mettre en place dès l’embauche (signer le contrat de travail revient à accepter d’emblée le télétravail), ou s’organiser ultérieurement.

Que doit contenir l’accord collectif s’il existe ?

En application des dispositions légales, l’accord collectif – ou à défaut, la charte – doit préciser :

  • les contextes dans lesquels l’employeur envisage de recourir au télétravail (sanitaire, pollution, par type d’emploi ou département de l’entreprise…),
  • les modalités d’acceptation du salarié (type d’écrit, délai de prévenance…),
  • les modalités de contrôle du temps de travail (émargement informatique par connexion, horaires fixes…) et de la charge de travail,
  • les plages horaires de travail et de contact possible entre l’employeur et le salarié (et par contrario, les plages de droit à la déconnexion)
  • les conditions matérielles et sécuritaires du télétravail (ordinateur, type de logiciels utilisés notamment pour la visioconférence, prise en charge des frais exposés…), étant rappelé qu’un accident survenu à domicile au cours du télétravail doit être qualifié d’accident du travail.
  • l’éventuelle fixation de l’adresse élue « domicile » pour l’exercice du télétravail, ou l’éventuelle obligation de télétravailler depuis un lieu bénéficiant d’une connexion de qualité, ou encore l’obligation de télétravailler de France (pour des raisons horaires),
  • l’éventuelle restriction faite par l’employeur de l’utilisation de certains outils ou sites informatiques,
  • la priorité dont dispose le salarié d’un retour à un poste sans télétravail,
  • l’existence d’un éventuel système de contrôle de l’activité du salarié, qui doit d’abord avoir été présenté aux IRP, ainsi qu’à la Cnil dans certains cas,
  • l’avis des représentants du personnel sur la charte (l’accord étant signé par les IRP, leur avis est implicitement positif).

Quels sont les droits qui s’appliquent au salarié en télétravail ?

Le télétravail n’étant qu’une modalité d’organisation du travail, le télétravailleur a les mêmes droits et obligations que tout autre salarié :

  • Obligation d’exécuter sa mission en quantité et selon les procédures fixées par l’employeur,
  • Obligation de se soumettre au reporting ou échanges /réunions fixés par l’employeur,
  • Obligation de respecter les horaires fixés contractuellement,
    Etc.
  • Droit au respect de sa vie privée et à une déconnexion hors de heures de travail,
  • Droit à la formation, à la santé et la sécurité, au repos quotidien et hebdomadaire légal ou conventionnel, à un entretien annuel etc.
  • Droit à l’exercice d’une activité syndicale, à l’information des IRP,
  • Droit à la prise en charge d’un abonnement de transport en commun, si le télétravail ne s’effectue que 1 ou 2 jours par semaine.

Attention : l’égalité de traitement entre salariés doit s’appliquer : un salarié occupant un poste éligible au télétravail en application d’un accord ou d’une charte à qui le télétravail serait pourtant refusé a le droit de connaître la motivation de ce refus, motivation qui ne doit comporter aucune discrimination.

En résumé : quels sont les points de désaccord possibles autour du télétravail ?

Recours au télétravail :

  • Au moment de la mise en place, si une des parties refuse le télétravail souhaité par l’autre :

Le licenciement pour refus de télétravail n’est pas valable, sauf à démontrer que le télétravail était impératif (en raison de l’activité ou circonstances exceptionnelles).

  • Au moment où une des parties souhaite l’abandon ou la réduction du télétravail :

Si l’employeur souhaite le retour du salarié sur site, ou à l’inverse si le salarié souhaite reprendre son poste sur site, chacun invoquant des difficultés dans l’exercice du télétravail.

Conseil : définir clairement les raisons (contexte légal, convenance personnelle) et la durée du télétravail, au besoin par des avenants à durée déterminée, au terme desquels la question sera débattue, afin de recueillir ou non un accord explicite des deux parties pour poursuivre ou interrompre le télétravail.

Lien avec l’employeur :

  • En cas de contrôle abusif de l’employeur, par des moyens technologiques ou par un abus de messages, appels téléphoniques ou visioconférences, etc.
  • A l’inverse, en cas de manque de contacts entre le salarié et ses managers et/ou collègues, provoquant un sentiment d’isolement et pénalisant l’organisation du travail par manque d’informations ou de retours.

Conseil : définir clairement les modalités de demande de travail et son contrôle, et prévoir des échanges réguliers sur site entre manager et salarié.

Problèmes techniques :

  • En cas de difficulté matérielle : matériel inadapté, connexion faible, manque de place au domicile, incompatibilité du télétravail avec la configuration familiale du salarié…

Conseil : faire un point sur l’installation du salarié dès la mise en place et anticiper les difficultés type connexion insuffisante… au risque de déplorer ensuite des retards et complications dans les échanges.
L’employeur est tenu de fournir au télétravailleur les moyens matériels informatiques d’atteindre ses objectifs de travail, faute de quoi un reproche d’insuffisance pourrait être contestable.

Suspensions du contrat de travail :

  • En cas de maladie faisant l’objet d’un arrêt de travail, ou en cas de RTT ou congé payé posé, si l’employeur tente néanmoins de demander des taches professionnelles au salarié :

Rappel : même s’il est à son domicile « comme les autres jours », le salarié ne peut être sollicité lorsqu’il est en congé ou en arrêt maladie…

Conclusion : le recours au télétravail n’exclut pas l’obligation d’exécuter le contrat de travail de bonne foi, pour chaque partie, et selon les principes qui régissent les relations au travail.