Licenciement pour inaptitude et manquements de l’employeur : la position désormais régulière de la cour de Cassation.

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La Cour de cassation a pris deux décisions en 2022, l'une le 12 janvier, l'autre le 6 juillet, pour confirmer sa position sur les licenciements pour inaptitude consécutifs à un manquement de l’employeur : l'inaptitude causée par un manquement de l’employeur ne peut valablement donner lieu à un licenciement pour inaptitude (en cas d'impossibilité de reclassement).

Le licenciement prononcé pour inaptitude peut dans ce cas être jugé sans cause réelle ni sérieuse, voire nul (si le manquement relève des cas de nullité), même si la recherche de reclassement a bien été conduite.

Dans l'arrêt de janvier 2022, le salarié licencié pour inaptitude avait invoqué le fait que cette inaptitude résultait d'un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité (qui est, on le rappelle, une obligation de résultat et non de moyen).

L’employeur avait plaidé qu'il avait correctement effectué la recherche de reclassement, mais n'avait pas répondu à l'argument relatif à sa responsabilité dans l'inaptitude constatée.

La Cour d'appel s'était satisfaite de cet argumentaire, mais la Cour de cassation avait souligné que les juges du fond doivent s'intéresser à l'origine de l'inaptitude, indépendamment de la recherche de reclassement ou du respect de la procédure.

Le manquement ayant provoqué l'inaptitude du salarié peut être un non-respect de normes de sécurité, des limites de durée du travail, d'une absence de formation ou de matériel adapté à la fonction, d'une organisation du travail surchargeant le salarié,… dès lors qu'il peut être prouvé un lien entre ce manquement (qui doit être établi) et l'arrêt maladie ou l'accident du travail qui auront précédé l'inaptitude.

Cet examen des juges du fond doit être effectué même s' il n'y a pas eu de demande préalable de reconnaissance de maladie professionnelle ou de faute inexcusable de l’employeur. (La mise en oeuvre d'une telle procédure facilite cependant la démonstration).

Les conseillers prud'homaux sont compétents pour apprécier l'origine de l'inaptitude et allouer des dommages et intérêts, sans rapport avec ceux qu'un tribunal judiciaire pourrait allouer en cas de reconnaissance de faute inexcusable.

Le manquement peut également relever de comportements de l’employeur constitutifs d'un harcèlement moral ou sexuel, ou d'un défaut de protection du salarié qui aura signalé de tels agissements, ou encore d'une discrimination.

C'est le cas d'espèce qui a donné lieu à l'arrêt de juillet 2022 : le salarié a été déclaré inapte à la suite d'un arrêt maladie découlant d'une situation de harcèlement dont l’employeur, alerté, ne l'avait pas protégé.

L'absence de réaction et de mesures appropriées par l’employeur avait été reconnue par la Cour d'appel, mais elle avait jugé que cela ne justifiait pas la requalification du licenciement pour inaptitude en licenciement sans cause.

La Cour de cassation a considéré au contraire que s'il a été déterminé que l'inaptitude découlait d'un manquement de l’employeur, alors le juge du fond devait considérer que le licenciement était bien sans cause réelle ni sérieuse.

Dans le cas d'un harcèlement ou d'une absence de réaction après dénonciation d'un harcèlement dont l'existence est reconnue, le licenciement pourrait en toute logique être jugé nul, au visa des articles L1152-3 du code du travail.

Il est rappelé que la nullité d'un licenciement donne droit à versement de dommages et intérêts qui ne sont pas limités par le Barème Macron, qui ne vise que les licenciements jugés sans cause.

Le manquement de l’employeur peut enfin être constitué par un non respect injustifié de préconisations du médecin du travail (poste adapté, horaires aménagés, télétravail…) si ce non-respect a provoqué une aggravation de l'état de santé ou une impossibilité de reprise du travail, puis une inaptitude.

Il est à noter que les conseils de prud'hommes ne font pas toujours droit à ces demandes, en l'absence de reconnaissance préalable de faute inexcusable ou de maladie professionnelle, persuadés qu'ils ne sont pas à même d'apprécier l'origine de l'inaptitude au vu des pièces produites,
Il faut insister, et parfois jusqu'à la cour d'appel.

Sources : Cassation sociale 6 juillet 2022 (N° 21-13.387), et Cassation sociale 12 janvier 2022 n° 20-17541

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