Faute grave : quand l’employeur a validé les faits reprochés

Rappel sur la définition de la faute grave :

La faute grave est un motif de licenciement d’ordre disciplinaire.

Il ne s’agit donc pas d’un motif d’ordre économique ni lié à la santé de la personne.

Le licenciement pour faute grave peut être prononcé si un ou plusieurs manquements contractuels sont reprochés à la personne licenciée, ces manquements étant des agissements dont la réalité, la gravité et l’imputabilité peuvent être établis par l’employeur.

Refus réitéré d’appliquer des consignes, agressivité verbale ou physique, absence injustifiée d’une durée significative, comportement délictuel préjudiciable à l’employeur, déloyauté, harcèlement moral ou sexuel avéré… sont des exemples de motifs valant faute grave.

Il s’agit de faits qui sont plus graves que ceux constituant ce qu’on appelle une faute simple, valant cause réelle et sérieuse de rompre le contrat de travail avec indemnité de licenciement et préavis.

Il s’agit de faits qui sont moins graves que ceux constituant une faute lourde, impliquant une volonté de nuire du salarié et, quasi automatiquement, une procédure pénale en parallèle à l’encontre du salarié (vol, violences, destruction de matériel etc.).

Selon une jurisprudence constante de la cour de cassation, la faute grave est celle qui rend impossible le maintien du contrat de travail y compris pendant la durée du préavis.

Elle est donc privative de toute indemnité de licenciement et de préavis. Elle n’implique pas obligatoirement de procédure pénale en parallèle.

La qualification des faits reprochés doit également tenir compte de l’ancienneté du salarié et de l’existence éventuelle d’un dossier disciplinaire.

La cour de cassation précise régulièrement les contours de la faute grave.
S’agissant d’un comportement constitutif de harcèlement moral, la Cour de cassation a jugé le 12 juillet 2022 qu’un salarié ne pouvait être licencié pour faute grave si le comportement incriminé était connu et soutenu par l’employeur, et validé par la direction.

Que précise l’arrêt de la chambre sociale du 12 juillet 2022 (N° 20-22857) :

Il s’agit d’un Directeur des Systèmes d’Information, licencié pour faute grave, au motif qu’il avait eu des comportements constitutifs de harcèlement moral.
Il a contesté ce licenciement devant le conseil de prud’hommes, et obtenu gain de cause devant la cour d’appel, qui a jugé le licenciement sans cause réelle ni sérieuse.

L’employeur s’est pourvu en cassation en invoquant une incohérence de la part de la Cour d’appel car elle avait reconnu d’une part l’existence de « faits précis et répétés qui, pris dans leur ensemble, permettait de présumer l’existence d’un harcèlement moral d’une salariée de l’entreprise imputable au salarié », et d’autre part avait néanmoins requalifié le licenciement pour faute grave en licenciement sans cause réelle ni sérieuse, au motif que « les méthodes managériales du salarié n’auraient été ni inconnues ni immédiatement réprouvées par l’employeur ».

L’employeur soutenait également dans son pourvoi que les faits et agissements visés n’étaient peut-être pas constitutifs d’une faute grave mais à tout le moins d’une cause réelle et sérieuse de licenciement.

Le harcèlement, lorsqu’il est avéré et imputable à un salarié, est passible d’une sanction disciplinaire, au visa de l’article L 1152-2 du code du travail.

Par ailleurs, en application de l’article L4121-1 du code du travail, l’employeur doit prendre toute mesure de nature à assurer la santé et la sécurité des salariés, et donc le cas échéant faire cesser immédiatement tout harcèlement moral ou sexuel.

En l’espèce, les faits révélaient en effet que le DSI avait partagé avec la direction son constat de ce qu’il estimait être une insuffisance de sa collègue, et avait mis en place avec cette collègue une réorganisation du service et un processus de changement.
Ces réorganisations impactant le quotidien de la salariée et les décisions ayant été à l’origine du harcèlement moral, avaient été prises avec l’aval officiel de la direction générale de l’entreprise, et notamment du DRH.

La direction de l’entreprise avait même défendu les positions du DSI, lorsqu’il avait été amené à répondre à l’époux de la salariée, qui se plaignait du harcèlement subi par sa femme.

Après ces prises de position et agissements, la direction générale ne pouvait valablement licencier le DSI ni pour faute grave ni même pour cause réelle, au motif qu’il aurait harcelé moralement la salariée, alors même que ce qui constituait ce harcèlement était connu et validé par cette direction.

La décision souligne ainsi qu’un harcèlement moral, a priori constitutif d’une sanction pouvant aller jusqu’à la faute grave, à tout le moins d’une cause réelle et sérieuse de licenciement, ne légitime pourtant pas forcément le licenciement du harceleur, si ce harcèlement avait été connu et cautionné par la direction générale.

Conclusion :

L’auteur d’un harcèlement moral n’est pas forcément passible de licenciement pour faute grave s’il peut établir l’équivalent de « circonstances atténuantes », en prouvant notamment que son employeur savait et soutenait ses agissements,

La cour de cassation confirme par là-même une position selon laquelle des agissements fautifs (harcèlement moral ou autre) le sont toujours moins s’ils ont été connus et tolérés un certain temps par la direction,

Le contexte, l’ancienneté ou les bons états de service du salarié, ou encore un contexte de réorganisation et de forte pression commerciale sont des éléments qui peuvent atténuer la gravité de la faute ; il a déjà été jugé par exemple que si le harceleur est lui-même harcelé, victime et opérateur d’un système managérial global, son licenciement pour faute n’est pas valable.

L’employeur (au sens de Direction générale de l’entreprise) est possiblement responsable du harcèlement mis en place, et en tout cas de ne pas avoir mis en œuvre des mesures pour protéger la santé et la sécurité de la salariée harcelée.

N.B. : S’agissant du harcèlement sexuel (et non moral), la cour de cassation ne prend en compte ni l’attitude antérieure de l’employeur, ni les circonstances : il justifie toujours le licenciement pour faute grave.

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